DÉVORÉ PAR LA “BEAST” Ou pourquoi payer pour un départ plus tôt ne nous rend pas « Élite »


Drôle de course

Une drôle de course, la Spartan Beast World Championship de Killington, au Vermont. C’est bien sûr un retour aux sources, un pèlerinage vers l’un des berceaux de la course à obstacles moderne. C’est aussi le « Championnat du Monde » de la série Spartan Race, malgré une annonce restée sans suite voulant que ça ne soit que l’une des courses d’une série pour déterminer les champions Spartan 2014. Laissons de côté le débat sur la question « une société de promotion et d’organisation peut-elle vraiment prétendre organiser un vrai championnat du monde ? », ainsi que l’existence d’au moins un autre événement pouvant raisonnablement s’autoproclamer Championnat du Monde, la Beast du Vermont, pour faire plus court, est bel et bien un rendez-vous à ne pas manquer pour l’élite mondiale.

C’est aussi une course vraiment pas comme les autres, de loin la plus longue et dure des courses Spartan de distances « standards » (Sprint, Super, Beast). Norm Koch réserve chaque année une grande rasade de sadisme aux milliers de coureurs venus se mesurer, en connaissance de cause ou pas, à un parcours machiavélique truffé d’embûches. Est-il logique que la course couronnant les champions Spartan Race soit aussi différente du reste des courses de la saison (la preuve : les gagnants souvent différents des habituels meneurs)? On pourrait arguer que le championnat aux points sert à déterminer les meilleurs en « saison régulière », mais personne ne semble y porter beaucoup d’attention; les médias, les bourses et les conversations s’orientent définitivement vers le Vermont.

Dernier paradoxe, qui n’en est pas vraiment un : dans une société aussi hédoniste et épicurienne que la nôtre, le contraste créé par la popularité d’une course aussi malfaisante que celle-ci est frappant, et illustre bien le besoin chez beaucoup (encore trop peu?) d’êtres humains de se défier et de se dépasser, psychologiquement autant que physiquement. Il est intéressant de voir des gens ayant payé cher leurs sièges d’auto électriques et chauffant avec fonction massage accueillir une simple couverture d’urgence, des vêtements secs ou encore une douche comme un luxe d’une valeur inestimable. « Change your frame of reference », clame Joe De Sena; le message du fondateur prend ici tout son sens.

« Plus jamais »… jusqu’à la prochaine fois

Profitai-je d’une dose de dépassement ou d’inconfort déjà suffisante dans mon quotidien, ou fais-je simplement partie de ceux qui manquent de caractère? Toujours est-il qu’après mon expérience de l’année dernière (5h49, 134e, inscription improvisée et entraînement insuffisant), j’avais juré que je ne referais pas cette course pour masochistes. Un an plus tard, me revoilà pourtant à la ligne de départ, mais cette fois bien mieux entraîné. Je n’y vais pas pour survivre, j’y vais pour me mesurer aux meilleurs mondiaux (je vise le Top 50, il faut être ambitieux), départ Élite comme d’habitude; 7 h 30, c’est tôt, il fait froid, mais après l’échauffement tout va bien. Intéressant de voir les athlètes dont on entend parler et dont on voit les photos… je ne suis pas groupie, mais ça reste spécial de prendre le départ en même temps qu’eux, ne serait-ce que pour un bref moment…

Je ne vous ennuierai pas ad nauseam avec les détails de la course. Si vous l’avez faite, vous savez déjà tout, et si vous ne l’avez pas faite, vous en avez certainement déjà suffisamment entendu parler. Un récit détaillé provenant d’un(e) athlète de pointe se battant pour une position significative serait passionnant, et viendra peut-être; sinon, espérons avoir accès à l’émission de NBC.

Go !

Résumons, donc : tout allait bien au début, premier sac de sable ridicule, premier seau de gravier sans problème, double « tractor pull » pas trop difficile non plus, sauf pour les pieds et chevilles recevant de grands coups de bloc de béton dans la descente : comme des enfants en manque d’attention, il suffisait de s’occuper d’un des blocs pour que l’autre vienne jouer dans nos pattes. Le deuxième transport de gravier était plus difficile, mais rien de trop terrible non plus. Le fameux « Tarzan Swing » (réussi!) et l’eau froide du lac nous attendent assez tôt dans le parcours, et je rattrape Raphaël Doye à ce moment… qui reprend aussitôt la poudre d’escampette après m’avoir donné ce faux espoir. Autour du 17e kilomètre et de la troisième heure, ça commence à se gâter, les quadriceps me menacent de crampes et les mollets sont aussi bien entamés. Mon ami Maxime Lavallée me rattrape dans une montée, en même temps que les premières filles (incluant une Claude Godbout à l’air déterminé, go Claude!). J’entre en territoire presque inconnu, on est bien au-delà de mes distances habituelles… et c’est à ce moment qu’intervient l’infernal transport de sacs de sable, eh oui, deux sacs de 20kg que l’on doit se coltiner en grimpant une pente abrupte.

Toute notion de plaisir disparaît aussitôt. Je suis content d’avoir Maxime avec moi pour mettre en commun notre chialage. J’ai l’impression de passer plus de temps assis sur les sacs (très confortables par ailleurs) qu’en train de les acheminer en haut. Nous n’avons pas la bonne technique : il semblerait que c’eût été plus facile de monter un sac à la fois. Bref, plus d’une demi-heure démoralisante à l’allure d’un escargot asthmatique plus tard, c’est fait, je reprends la course, laissant Max derrière moi après une série d’obstacles. Je réussis la « tyrolienne » (mais il s’en est fallu de peu) et ne rate plus qu’un seul obstacle avant la fin, mais mon sourire est effacé pour le reste de la course, sauf les quelques fois où je croise des visages connus, spectateurs m’encourageant ou encore Caroline Drolet, qui me double vers la fin, en route vers une superbe 14e position.

Résultats

26 km, 2400 m de dénivelé positif, 90 burpees (équilibre sur bûches, premier javelot venteux, « Norm’s Shaft »), 5h09m39s, 91e, 70e chez les hommes. Assis sur mes sacs de sable en attendant que l’acide lactique veuille bien me laisser un peu tranquille, j’étais bien loin d’avoir l’air « Élite »… et c’est à partir de ce moment que je me suis dit que cette fois, bien vrai, je ne referais pas cette course l’an prochain. Après tout, je cours pour m’amuser, et si je n’y trouve pas de plaisir, à quoi bon? Je veux bien souffrir pour aller vite et me battre contre des adversaires coriaces, mais me traîner (tout est relatif) pendant deux heures en essayant d’éviter la “catastrocrampe”, très peu pour moi. Quand je pense que certains ont fait l’Ultra Beast (en gros, deux fois la Beast) le dimanche… et dans certains cas après avoir fait la Beast du samedi!

Mentionnons Hélène Dumais, l’une des rares à avoir accompli cet exploit, et qui finit deuxième de l’Ultra après une chaude et interminable lutte jusqu’à la fin, ajoutant donc un podium de plus à son impressionnante série 2014. Nous avons un coach en commun, Frédéric de COMEandTRAIN, je m’attends donc aux mêmes résultats l’an prochain (pantoute). Et tant qu’on est dans les félicitations chauvines, bravo à notre compatriote Ryan Atkins, deuxième chez les hommes, mais surtout à Claude Godbout, qui reprend son titre de 2012 (elle avait gagné la Beast ET l’Ultra) et ajoute une victoire bien spéciale à cette saison éblouissante de domination (évidemment, ça n’aurait pas été possible sans le gel que je lui ai donné; elle avait oublié les siens…). Soulignons aussi la présence pour la première fois aux USA d’un Platinum Rig, notre Dom national entamant bel et bien sa conquête du monde !

Chacun son trip

D’une certaine façon, au-delà du pur plaisir de courir, grimper, sauter et se traîner dans la boue, beaucoup d’entre nous essaient de trouver leurs limites, puis de les repousser. Certains le font en allant le plus loin et le plus longtemps possible, étirant le calvaire toujours davantage, et puisant dans leurs ressources psychologiques autant que physiques, pour simplement arriver au bout. Pour ceux-là, les « toujours plus loin », une course comme la Beast, ou l’Ultra, ou même encore la Death Race, est faite sur mesure ; on mentionnera aussi les Ironman, ultra marathons, Vasaloppet, etc.

D’autres font plutôt partie des « toujours plus vite », condensant un effort paroxystique sur un temps plus court, s’axant sur la compétition avec soi-même ou les autres. Je comprends l’attrait que le “toujours plus loin” peut avoir, mais personnellement ça n’est pas ce qui me fait triper; je préfère me donner au max pour aller plus vite, couvrir du terrain, passer les obstacles avec énergie, etc. J’admire ceux qui vont chercher leur limite et puiser dans leurs réserves dans la durée, moi c’est plutôt dans l’intensité.

Pour de vrais athlètes d’élite, qui se battent pour des positions importantes, et qui ont une forme physique hors du commun, la Beast de Killington est dans la catégorie “toujours plus vite”; leur défi n’est pas de la finir, mais de la finir le plus vite possible; ils ont des concurrents autour d’eux qui les stimulent, ils ont la forme pour pousser et aller vite, bref, ils vivent cette course comme les humbles mortels vivent un Super ou une Beast « normale ».

Mais pour la plupart des gens, cette course fait plutôt partie de l’autre catégorie… à partir des sacs de sable, et même un peu avant, je commençais à être dans un mode “me rendre à la fin” et non “pousser”, et c’est là que je perds l’intérêt .

Ça fait peut-être de moi un paresseux ou quelqu’un qui manque de caractère, mais quelque part, c’est mon temps libre que j’investis là-dedans, je vois mal pourquoi je payerais et prendrais de mon temps pour me sentir misérable. Je pourrais décider d’augmenter mon volume d’entraînement pour être vraiment prêt, et vivre la Beast du VT comme une course et non comme un parcours à finir, mais j’ai d’autres choses dans ma vie et ne suis pas prêt à les sacrifier; je suis un amateur, pas un pro. Alors, vivent les Sprints, Supers et Beasts « standards », et tant pis pour le Vermont. Chacun son “trip” !

Et vous, quel est le vôtre? Préférez-vous les courses de la saison régulière, ou la Beast du Vermont possède-t-elle véritablement un attrait irrésistible? Ceux qui l’ont faite cette année, y serez-vous l’an prochain?

Un récit de: Sébastien David
Révision et correction : Éric Julien

Crédit photo: Spartan Race USA

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